ARCHÉOLOGIE - L’archéologie aérienne

ARCHÉOLOGIE - L’archéologie aérienne
ARCHÉOLOGIE - L’archéologie aérienne

Longtemps, archéologues et historiens se sont contentés de demander à la photographie aérienne une image globale, plus complète, plus précise, des monuments ou des sites archéologiques, qui les replace dans leur environnement naturel et humain. Depuis quelques années, le recours à la photo aérienne est devenu systématique aussi bien lors des fouilles que lors des survols périodiques qui permettent de surveiller les sites déjà connus, de repérer éventuellement les fouilles clandestines ou le développement des carrières, des grands travaux et de tous les terrassements qui peuvent menacer des vestiges.

Mais l’archéologie aérienne est bien autre chose, elle permet avant tout de découvrir d’innombrables ensembles partiellement ou totalement enfouis. Cette possibilité étonnante frappe l’imagination, et le grand public a tendance à penser que cela suppose le recours à des méthodes et à des techniques complexes et ésotériques. Il n’en est rien. L’archéologie aérienne ne nécessite pas l’utilisation d’appareils photographiques professionnels ni d’émulsions inhabituelles. Le choix des rares moments favorables ne pose guère de problèmes sérieux. Seule l’interprétation des clichés soulève quelques difficultés.

Historique des recherches dans le bassin méditerranéen et en France

Dès le début du XXe siècle, les archéologues se sont aperçus que des photographies aériennes de sites très connus pouvaient révéler maints détails qui avaient échappé à l’observateur terrestre. Ainsi, à Rome, une photographie aérienne du forum prise en ballon montra l’existence sur le dallage d’une inscription géante qui n’avait jamais été remarquée. Toutefois, c’est surtout pendant la Première Guerre mondiale que des officiers se spécialisent dans l’interprétation des clichés pris d’avion et, après le conflit, plusieurs d’entre eux se consacrent à l’archéologie: les chercheurs britanniques travaillent essentiellement sur leur territoire métropolitain alors que, curieusement, les chercheurs français étudient uniquement les «territoires d’Outre-Mer». Le père Poidebard survole le désert syrien et obtient de spectaculaires clichés de vestiges enfouis, grâce à des photographies prises en début de matinée ou en fin d’après-midi. Les ombres portées, démesurément allongées par cet éclairage frisant, rendent perceptibles les formes régulières des fondations cachées par le sable. Après la Seconde Guerre mondiale, c’est dans le Sud algérien que le colonel Baradez opère avec un grand succès et son livre Fossatum Africae est devenu un classique. Il utilise systématiquement les couvertures aériennes verticales à haute altitude que l’on peut étudier et comparer ultérieurement millimètre carré par millimètre carré. Il peut ainsi mettre en évidence sur de grandes surfaces toute l’implantation romaine, militaire, civile ou agraire. Il condamnait formellement la «chasse photographique» à bord de «coucous d’aéroclub», c’est-à-dire les prises de vues obliques site par site... Selon lui, l’archéologie aérienne scientifique impliquait un appareillage lourd hautement spécialisé. L’influence du colonel Baradez fut considérable et les spécialistes qui, vers 1954, commencèrent à étudier la métropole suivirent ses conseils et se penchèrent d’abord, sans grand succès, sur les couvertures aériennes.

En effet, les problèmes sont fondamentalement différents en France, car le climat n’est pas le même. D’une part, depuis des siècles, les labourages ont pratiquement tout nivelé, d’autre part l’agriculture a créé un parcellaire qui morcelle à l’infini les terroirs. Les conditions d’observation varient considérablement d’un champ à l’autre selon l’état d’avancement des travaux agricoles ou la nature des cultures. C’est donc pratiquement champ par champ qu’il faut scruter les anomalies révélatrices. Du même coup, la photographie oblique basse reprenait un intérêt primordial. De l’autre côté de la Manche, où les conditions sont tout à fait comparables, les archéologues y étaient d’ailleurs restés fidèles et avaient obtenu des résultats remarquables dès les années 1920-1930; O.G.S. Crawford, notamment, avait démontré que les anomalies de la croissance des cultures pouvaient révéler admirablement les structures enfouies, surtout en période de sécheresse. À l’imitation des archéologues britanniques, une série de chercheurs français commence avec succès, vers 1960, les repérages aériens dans les fonds de vallées et les plaines de grande culture, particulièrement dans la région parisienne (D. Jalmain), dans l’Aisne (R. Chevallier), en Bourgogne (R. Goguey) et en Picardie (R. Agache). Ce sont d’ailleurs les recherches effectuées en Picardie qui ont montré l’intérêt considérable des prospections aériennes hivernales. Certes, les indices sont très fugaces, mais bien plus précis, et les sources de confusion sont beaucoup plus rares.

Pendant longtemps l’archéologie aérienne n’a pas été enseignée en France, sauf par Raymond Chevallier qui, à l’École pratique des hautes études, a formé de nombreux chercheurs. En une quinzaine d’années, elle s’est imposée comme une source d’informations essentielle pour l’archéologue et même pour l’historien.

Longtemps limitées à la moitié nord de la France, les prospections se sont peu à peu étendues à l’ensemble du pays. La longue sécheresse de 1976 a été si propice aux anomalies de la croissance des cultures que plusieurs pilotes amateurs les ont remarquées spontanément et ont procédé ensuite à des prospections méthodiques. La sous-direction de l’Archéologie (ministère de la Culture) a joué un rôle considérable en encourageant, en coordonnant, en subventionnant ces prospections et, depuis 1982, en organisant des stages de formation en association avec le C.N.R.S. Pour éviter le risque de dispersion de la documentation, la sous-direction de l’Archéologie regroupe pour chaque site découvert les duplicatas des clichés et les fiches informatisées.

Les recherches à l’étranger

À l’étranger, les prospections aériennes se sont beaucoup développées ces dernières années, même dans des lieux réputés peu favorables comme le Benelux (C. Leva). En Allemagne, plusieurs régions font l’objet de recherches systématiques. Le Landesmuseum de Bonn a mis sur pied un service très actif de prospection aérienne et géophysique sous la direction de I. Scollar. En Italie, l’aérophotothèque du ministère de l’Instruction publique à Rome a réuni une importante collection de clichés. Mais c’est surtout en Grande-Bretagne que les recherches ont été menées le plus systématiquement depuis 1920 grâce à O.G.S. Crawford, puis au major G.W.G. Allen. Par ailleurs, l’université de Cambridge comporte un très important service d’archéologie aérienne, longtemps dirigé par J. K. Saint-Joseph, qui a réuni plus de 250 000 clichés et obtenu des images aériennes de sites nivelés d’une stupéfiante précision. Son successeur, D. R. Wilson, a publié un excellent guide de photo-interprétation en 1982. D. N. Riley en a sorti un autre en 1987 et R. Wimster en 1989.

Sur les autres continents, l’archéologie aérienne est peu pratiquée, sauf en Afrique du Nord et dans tout le Proche-Orient. Dans beaucoup de pays, une législation plus stricte de la prise de vue aérienne freine les recherches. C’est ainsi que, parfois, les archéologues doivent utiliser des prises de vue obtenues par petits avions télécommandés. En Amérique, l’archéologie aérienne a révélé des ensembles précolombiens même dans des zones de forêts denses. Toutefois, c’est surtout dans les zones désertiques comme la Californie que les clichés les plus remarquables ont été réalisés. Dans les plaines côtières du Pérou, près de Nazca, on connaît ainsi de gigantesques figurations au tracé géométrique (spirales, trapézoïdes) ou semi-figuratif (monstres et animaux); les mêmes tracés se retrouvent aussi sur différents types de poteries précolombiennes, ce qui permet d’établir une chronologie relative. Quant aux trop fameuses «pistes d’atterrissage d’extraterrestres (! )» décrites dans les plaines côtières du Pérou, ce sont tout simplement de longues aires processionnelles. Moins connue, mais très remarquable, est la «grande muraille» pré-inca, qui, dans les Andes, court à flanc de montagne. Aux États-Unis, des prospections portent actuellement sur la localisation des anciens établissements indiens et des sites néolithiques. Enfin, en Extrême-Orient, des résultats non négligeables ont été obtenus, en particulier dans l’ancienne Indochine française.

Paradoxalement, c’est dans les régions tempérées de grande culture, là où les labourages ont depuis des siècles apparemment tout détruit et à peu près tout nivelé, que ces mêmes travaux des champs ressuscitent périodiquement et très fugitivement, au fil des saisons, le tracé des vestiges enfouis.

Structures repérables par la photographie aérienne

Les structures maculiformes

Nos prospections dans le nord de la France ont montré l’intérêt primordial des structures maculiformes, bien qu’elles soient à peu près totalement négligées par les archéologues. Des constellations de taches révèlent parfois des habitats disparus. C’est un moyen précieux de repérer les aires d’habitats disparus, même quand il n’y a pas de fondations de pierre, sur tous les types de terrains nus, même non labourés profondément, et cela quelle que soit la nature du sol ou du sous-sol. On sait en effet que l’argile et le bois ont toujours joué un rôle important dans les pays où la pierre est rare. Quand un habitat de ce type a disparu, même totalement et anciennement, il subsiste des aires plus argileuses et plus riches en humus. Celles-ci réapparaissent en période humide, l’hiver, pendant peu de temps mais fréquemment. Les structures maculiformes se manifestent particulièrement bien les matins brumeux d’hiver, surtout à contre-jour, avec un éclairage frisant, quand la brume commence à se dissiper. Elles disparaissent dès que le soleil monte et que le sol sèche. Elles se maintiennent cependant un peu plus pour des emplacements d’anciens habitats très longtemps occupés: on observe alors des zones cendreuses, comme l’indique le toponyme, si révélateur et si fréquent pour les sites archéologiques arasés, de «Terres noires». À condition de ne pas tenir compte des taches isolées, les sources de confusion sur sol nu ne sont pas nombreuses, mais il faut avant tout rechercher l’organisation de ces taches les unes par rapport aux autres. Ainsi, pour un sanctuaire antique, on distingue une aire principale qui correspond au temple avec, aux abords, des aires plus petites et moins apparentes qui marquent les emplacements d’édicules divers, le tout s’ordonnant dans un enclos de forme géométrique (le péribole). La villa gallo-romaine, quant à elle, a une disposition bien caractéristique: face à la tache la plus importante, qui correspond à l’habitation principale, s’ouvre un vide le long duquel s’organisent d’autres taches qui marquent l’emplacement des dépendances, le tout s’ouvrant vers le soleil levant (cf. illustration: Béhen). Les habitats médiévaux disparus se manifestent généralement par des associations apparemment désordonnées d’aires sombres, mais qui, en fait, sont disposées le long d’anciens chemins. Pour les habitats disparus longtemps occupés ou réoccupés, on peut remarquer une vaste aire cendreuse vers laquelle, généralement, convergent encore plusieurs chemins.

Quand le sol est caché par les cultures, les structures maculiformes sont beaucoup plus difficiles à identifier, les sources de confusion étant nombreuses. Toutefois, sur certains terrains particulièrement sensibles aux anomalies de la croissance des céréales, comme les sols peu profonds sur la craie et surtout sur les alluvions grossières de fonds de vallée, des sites protohistoriques et même préhistoriques peuvent être décelés avec précision. Ainsi, les habitats de l’âge du fer sont caractérisés par un grand nombre de petites taches plus verdoyantes qui correspondent à des fosses comblées plus ou moins groupées. Autre exemple, dans le bassin de Paris, les villages du début de l’époque du Rubané au Néolithique sont discernables grâce à la présence de taches allongées étroites, orientées est-ouest et disposées parallèlement; elles correspondent aux anciens fossés de constructions accolées aux maisons danubiennes, dont les alignements de trous de poteaux disposés par tierces sont parfois visibles (cf. illustration: Cuiry-lès-Chaudardes).

Les structures linéaires

Ce sont presque uniquement les structures linéaires que les archéologues recherchent, car elles sont faciles à identifier. En effet, la main de l’homme se reconnaît essentiellement à des tracés linéaires qui, généralement, forment des figures géométriques: il s’agit tantôt de lignes de fondations enfouies qui peuvent alors donner le plan et les partitions internes de constructions (comme les maisons, les dépendances, les temples, les parcs, les aqueducs, les voies antiques), tantôt de lignes et d’anciens fossés comblés qui peuvent donner le plan d’enclos rituels (cercles et carrés protohistoriques), d’enclos agraires, de retranchements, etc. À de très rares exceptions près, comme les structures polygonales engendrées par des phénomènes périglaciaires, la quasi-totalité des tracés linéaires observés d’avion sont dus à l’homme d’hier ou d’aujourd’hui. Les tracés contemporains provoqués avant tout par les modes de culture s’éliminent aisément car ils s’ordonnent par rapport au parcellaire actuel (passages de tracteurs, de semoirs, etc.). Par contre, les structures fossiles sont généralement en discordance avec les composantes de la mosaïque agraire contemporaine. Ces structures linéaires se révèlent à l’archéologue aérien grâce à cinq types d’indices:

Indices révélateurs

– Les indices phytographiques (anomalies de la croissance des cultures, ou crop-marks ). En règle générale, les cultures, et tout particulièrement les céréales, ont une croissance plus rapide au niveau des anciens fossés ou des anciennes fosses comblées et une croissance plus lente au-dessus des fondations arasées. Toutefois, lors de certaines périodes de sécheresse prolongée, il arrive que les phénomènes soient inversés. Ces anomalies phytographiques sont extrêmement polymorphes: différence de hauteur, différence de teinte dans la gamme des verts, différence de couleurs (par exemple un jaunissement plus ou moins rapide), verse des céréales trop vite poussées au-dessus des fossés comblés, présence plus nombreuse de mauvaises herbes, en particulier des vesces sauvages ou des coquelicots à l’emplacement de remblais. Il est fréquent que ces diverses anomalies se produisent successivement au cours des saisons. Elles peuvent même se produire simultanément de différentes façons, quand la même structure archéologique s’étend sur plusieurs champs contigus où la nature et l’état d’avancement des cultures ne sont pas les mêmes. Enfin, dans des landes non cultivées, des emplacements de vestiges archéologiques peuvent se manifester par une végétation plus ou moins dense et surtout par la présence de plantes particulières. Quant aux prairies naturelles, cependant réputées très défavorables, la différence de la croissance de l’herbe est parfois fort marquée, surtout lors d’une sécheresse prolongée (cf. planche: Frémontiers).

– Les indices pédographiques (anomalies de la nature des sols, ou soil marks ). Les survols hivernaux font immédiatement apparaître d’innombrables variations de la teinte des sols labourés, tout au moins quand les terres sont bien humides. Les labourages profonds d’aujourd’hui font remonter en surface des éléments du sous-sol; les lignes de fondations apparaissent alors parfaitement (cf. planche: Villers-sous-Ailly ou Warfusée).

– Les indices hydrographiques (anomalies différentielles de l’humidité des sols, ou damp-marks ). Là aussi, le polymorphisme de ces indices est étonnant: taches et lignes de rosée, de gelée blanche, etc. Le plus souvent, c’est sur sol nu après les labours et surtout après le roulage des terres qui suit les semailles que ces phénomènes sont le plus apparents, en particulier entre deux giboulées de mars: l’humidité persiste, en effet, un peu plus longtemps au niveau des remblais, quand le soleil et le vent commencent à sécher brutalement les terres. Ces taches ou ces lignes différentielles d’humidité sont de brève durée, mais ce sont de très loin les plus précises et les plus précieuses (cf. planche: Tailly).

– Les indices sciographiques (ombres portées, ou shadow-marks ). Ces indices mettent en évidence des sites incomplètement nivelés, grâce aux ombres portées du soir ou du matin, avec un éclairage frisant, quand le soleil est bas à l’horizon, particulièrement dans les terres non labourées: les pâturages (cf. illustration: Ogle) et les terres non cultivées. Il faut noter que des ombres portées révélatrices peuvent se produire sur des terrains qui sont parfaitement plats, car les céréales recréent le relief disparu mais en l’inversant, puisqu’elles sont plus hautes au-dessus des anciens fossés et plus petites au-dessus des fondations: même dans les régions de grande culture, des survols avec une lumière rasante du soir ou du matin ne sont pas, alors, sans intérêt (cf. illustration: Vieil-Évreux).

– Les indices topographiques (anomalies structurales du paysage). Dans des pays comme la France, le premier indice révélateur du passé est souvent le paysage lui-même, qui a été modelé par l’histoire; mais seule l’image aérienne donne le recul nécessaire pour l’étudier, le comprendre et en détecter toutes les anomalies. Si des champs ou des bois ont des formes singulières, c’est qu’ils ont une histoire singulière. Ainsi, les arbres et les haies recouvrent souvent d’anciennes fortifications nivelées (mais plus ou moins impropres à la culture); ils en dessinent ainsi parfaitement les contours. De telles métamorphoses végétales du passé sont fréquentes. De même, des alignements de limites de champs, se raccordant à des tronçons de chemin creux ou à des routes, trahissent bien le tracé des voies disparues. Ces anomalies topographiques sont évidemment moins nombreuses dans les plaines ouvertes que dans le bocage, qui a tendance à figer les structures anciennes.

Les prises de vue

Pour exploiter les photographies aériennes, les archéologues adaptent leurs méthodes de travail selon le but recherché ou l’époque étudiée et selon les régions. On n’étudie pas les zones de bocage de la même façon que les zones de champs ouverts, les landes bretonnes, les grandes terres à blé du Nord ou la garrigue méditerranéenne. Cela implique une approche très diversifiée: dans certains cas, la primauté sera donnée à l’examen des couvertures aériennes, dans d’autres aux clichés et aux prospections obliques basses, mais rarement à l’un ou à l’autre exclusivement. Il ne faut pas oublier que les vues obliques basses ne sont pas objectives. L’opérateur sélectionne et oriente ses clichés pour faire ressortir ce qu’il voit et surtout ce qu’il veut montrer. Or, il peut être obnubilé par certaines structures aux dépens d’autres dont il n’a pas pris conscience. Les photos obliques basses sont souvent à la fois partielles et partiales. Les couvertures aériennes, elles, sont objectives. De plus, elles peuvent s’examiner sous stéréoscope, ce qui accentue le relief et fait mieux comprendre un paysage. Elles permettent aussi d’effectuer des mesures relativement précises (alors qu’il est très difficile d’apprécier les dimensions sur un cliché oblique), ce qui, dans certains cas, élimine toute confusion possible. Ainsi, l’antiquité d’une voie est fort probable si l’on y reconnaît des espacements réguliers correspondant aux lieues gauloises (2 400 m) ou romaines (2 210 m). Il en est de même pour les cadastres. Un parcellaire quadrillé ne peut pas être romain si les mesures utilisées ne sont pas antiques: récemment, des photos obliques ayant révélé une pseudo-centuriation, les mesures effectuées ont montré que le quadrillage s’inscrivait dans des mailles de 1 000 mètres de côté (au lieu de 710 m). Il s’agissait en fait d’un ancien cadastre napoléonien!

Comme les couvertures aériennes ne sont pas effectuées spécialement, mais que l’Institut géographique national dispose de nombreuses missions faites régulièrement, il arrive que certaines soient réalisées à des moments favorables. Si on les examine toutes, on peut fort bien y déceler nettement des villas ou des camps romains, ou même des structures protohistoriques. Toutefois, de nombreux survols à basse altitude seront nécessaires pour en obtenir des images plus précises. Les archéologues français utilisent surtout les petits avions de club à aile haute. Les appareils photographiques courants de petit format (24 憐 36 mm) sont suffisants; certains leur préfèrent les 6 憐 6 cm. Avec un simple filtre UV, les émulsions couleur les plus banales donnent d’excellents résultats. Les émulsions spéciales ne sont pas indispensables. Quant aux infrarouges fausses couleurs, si préconisés par certains, ils ne procurent que rarement des contrastes plus accentués (cf. planche: Martainneville et Bray-lès-Mareuil). C’est avec un éclairage à contre-jour et en lumière rasante que l’on parvient le mieux à mettre en évidence les microreliefs. Pour faire ressortir les légères variations de teinte, le soleil doit être situé dans le dos de l’opérateur. Cependant, il n’est pas rare que les indices révélateurs résultent à la fois des variations de la couleur et de la hauteur des cultures, surtout dans les céréales. Il convient alors de tourner attentivement autour du site pour choisir l’altitude et l’angle de prise de vue les mieux adaptés: il est fréquent que les tracés n’apparaissent, fugitivement, que sous un angle bien précis et s’effacent partiellement puis totalement sous d’autres. Cela implique non seulement des survols fréquents, mais aussi de longs virages spiralés au-dessus de chaque secteur prospecté: l’archéologie aérienne est une affaire de longue patience. Le trop théorique «bilan hydrique intégré», préconisé par quelques techniciens pour choisir les moments favorables aux prospections, n’a guère d’utilité pratique.

Vers des méthodes et des techniques nouvelles

L’utilisation d’autres vecteurs que l’avion commence à donner une nouvelle dimension à la recherche: la télédétection par ballon, par ballon-sonde, et surtout par satellite. Sur les clichés pris de l’espace, on distingue nettement certaines structures archéologiques, les centuriations antiques par exemple. Toutefois, pour le moment, ces images ne sont pas aussi bonnes que celles des couvertures aériennes courantes. Actuellement, l’intérêt de la télédétection par satellite est surtout de nous donner des informations sur les zones difficilement accessibles. C’est ainsi qu’en Asie centrale de très anciennes pistes caravanières ont été décelées et que, en Alaska, des programmes archéologiques ont pu être mis en route.

D’autre part, les perspectives offertes par le traitement des images sont prometteuses et des plus variées. La simple duplication d’une diapositive en couleur augmente déjà les contrastes à condition d’utiliser une émulsion normale et non pas le film «duplicating» (spécialement conçu pour fournir une image identique). L’ordinateur permet aussi le renforcement des contrastes et il offre bien d’autres possibilités; redressement des images obliques (beaucoup plus rapidement que par les procédés graphiques), report automatique sur les plans cadastraux. I. Scollar a mis au point, au Landesmuseum de Bonn, un ordinateur spécialement conçu pour l’archéologie et qui peut se comparer aux ordinateurs utilisés par la N.A.S.A. pour l’exploration des planètes.

Très spectaculaire et quasi surréelle est l’«équidensité colorée» qui peut résulter de deux techniques différentes: le traitement informatisé d’images et la mise au point de films à équidensité. Il s’agit de compenser les aptitudes limitées de l’œil humain qui, par exemple, ne peut distinguer qu’une douzaine de nuances dans les gris, alors que l’équidensité colorée permet d’en mettre en évidence une cinquantaine. Pour le moment, peu de résultats très convaincants ont été obtenus en archéologie, sauf pour l’étude des parcellaires fossiles. Plus efficace est le traitement des photographies normales par filtrage optique en lumière cohérente. L’équipe dirigée par G. Chouquer utilise systématiquement le laser pour étudier les couvertures aériennes de l’I.G.N. et vient de commencer l’élaboration d’un atlas des centuriations de la Gaule. Dans un volume publié en 1991, il expose ses méthodes et ses résultats.

Des perspectives nouvelles s’ouvrent en outre avec les images «non photographiques»: le radar latéral (utile pour déceler des vestiges en forêt dense ou dans des eaux troubles) et surtout le scanner. Dans les deux cas, les images obtenues ressemblent à une photographie, mais n’en sont pas puisqu’elles ne doivent rien à la lumière et peuvent fort bien être faites de nuit. La thermographie aéroportée réalisée par scanner permet la télédétection d’anomalies thermiques de 0,5 0C d’intervalle. Théoriquement, il devrait donc être possible de déceler ainsi des vestiges enfouis. Les résultats obtenus en archéologie sont pour le moment très rares et très peu lisibles, même après traitement. Actuellement, la photographie aérienne normale est donc la seule technique parfaitement opérationnelle.

Possibilités et limites de l’archéologie aérienne

Les résultats obtenus sont considérables, tout particulièrement en France et en Grande-Bretagne. Des dizaines de milliers de sites archéologiques y ont été ainsi découverts. La connaissance de l’âge du bronze et de l’âge du fer en a été complètement renouvelée. Pour ces périodes, la plupart des programmes cohérents de recherches et de fouilles résultent aujourd’hui du recours systématique à la photographie d’avion. Pour l’époque romaine, l’archéologie aérienne a remis en cause bien des idées admises. Ainsi, la romanisation des campagnes est beaucoup plus profonde qu’on ne le pensait: toutes les belles terres à blé furent systématiquement mises en valeur par les propriétaires de grandes villas au plan parfaitement géométrique, étonnamment stéréotypé, et implantées selon les préceptes des agronomes latins.

L’apport de la photographie aérienne est encore plus considérable pour l’archéologie agraire et l’archéologie du paysage, qui seraient quasi impossibles sans l’avion. L’étude des anciens parcellaires permet de reconstituer les paysages. Si, dans les pays de landes, les cadastres fossiles transparaissent encore sur le terrain par la présence des chemins, de fossés plus ou moins complètement abandonnés, des lignes d’épierrements ou de murettes séparant les champs d’autrefois, une étude cohérente n’est possible que sur les couvertures aériennes. L’implantation des cadastrations romaines permet de bien mesurer l’étendue, la mise en valeur rationnelle des terres s’appuyant sur un réseau de voies et de chemins rectilignes (cf. illustration: Tunisie). D’avion, plus qu’au sol, on se rend compte de l’esprit de système qui caractérise la romanisation: il s’agit de faire table rase du passé, de s’opposer au «désordre» antérieur, car pour Rome la beauté est d’ordre mathématique et beauté et efficacité sont indissociables. Une telle tendance à l’organisation géométrique de l’espace n’est pas propre à la centuriation; elle est de règle dans l’organisation des villas, mais aussi dans l’établissement des voies de communication, dans la castramétation et, évidemment, dans l’urbanisation: les petites Romes provinciales seront par leur ordonnance parfaite plus romaines que Rome elle-même.

Les réussites de la photographie aérienne ne doivent pas en masquer les limites. Il est certes étonnant de voir d’avion l’implantation des habitats antiques et leurs réseaux de communication, plus étonnant encore d’obtenir des images de parcellaires de l’âge du fer et même de voir réapparaître le plan de maisons préhistoriques et protohistoriques, grâce aux céréales qui poussent mieux au-dessus des trous de poteaux disparus depuis des milliers d’années (cf. planche: Verberie et illustration: Cuiry-lès-Chaudardes). Mais on doit se rappeler que l’archéologie aérienne ne donne pas une chronologie précise; seules, les fouilles peuvent l’apporter. De plus, les photographies publiées donnent parfois une idée fausse de la prospection aérienne. Il faut se souvenir que, si ces images sont souvent d’une étonnante précision, c’est qu’elles sont sélectionnées parmi des milliers de clichés. Il faut échelonner les survols en toutes saisons pendant des années dans les conditions les plus variées avant d’obtenir des clichés parfaitement révélateurs des vestiges enfouis. La nécessité de tenir compte des conditions agraires et atmosphériques pendant de longues périodes est l’inconvénient majeur de l’archéologie aérienne. Il est des cas où il faut savoir vite si telle ou telle zone (dont, par exemple, la destruction est envisagée pour l’ouverture de carrières) recèle ou non des vestiges intéressants et si, en conséquence, il faut envisager des fouilles préalables ou même une mise en réserve archéologique. Si la réponse doit être fournie rapidement, on devra recourir aux prospections géophysiques, très onéreuses certes, mais qui peuvent être faites à tout moment.

Au fur et à mesure que les recherches méthodiques se développent un peu partout, on constate que des régions réputées «défavorables», parce que les premières séries de survols n’avaient rien donné, se révèlent en réalité aussi «propices» que les autres. Ainsi, en Bretagne, depuis 1989 les découvertes se multiplient. En Aquitaine comme en Languedoc, c’est depuis 1980. Contrairement à ce qu’on lit souvent, il n’y a pas de régions impropres à l’archéologie aérienne. Il y a toutefois des régions où l’on peut s’attendre à rencontrer plus que dans d’autres tel ou tel type d’indices. Ainsi, on ne peut guère espérer repérer beaucoup d’indices sciographiques dans les plaines labourées avec les puissants engins modernes, où par contre les indices pédologiques seront bien apparents après les défonçages profonds. De même, il est faux de dire que les sols riches offrent peu d’indices phytologiques. Certes, il est difficile d’y repérer d’anciens fossés comblés qui ne sont guère plus fertiles que les terres limoneuses des abords, mais, en revanche, les céréales seront nettement moins vigoureuses au-dessus de fondations enfouies, qui apparaîtront donc mieux que sur les sols pauvres, tandis que, sur ces derniers, les anciens fossés comblés se révéleront particulièrement bien dans les cultures. En ce qui concerne les indices hygrométriques, ils sont extrêmement marqués sur les sols crayeux, mais difficiles à déceler sur les alluvions grossières des fonds de vallées où, il est vrai, les anomalies révélatrices des cultures indiquent admirablement les substructions enfouies comme les fosses et fossés comblés. Cela exige évidemment d’interpréter avec prudence les cartes de répartition: les systèmes de fossés comblés apparaîtront toujours en plus grand nombre là où la craie affleure, et les fondations enfouies sembleront bien plus abondantes dans les plaines fertiles de limons où elles sont plus faciles à mettre en évidence. Les conditions de détection aérienne sont donc étroitement liées à la nature du sol et varient avec elles. Toutefois, des survols nombreux et systématiques atténuent largement ces disparités, même si l’on doit se contenter alors de photographies moins spectaculaires. Rappelons enfin que des résultats remarquables ont été obtenus lors de survols par très beau temps de sites submergés par les eaux. C’est le cas en différents points du littoral méditerranéen, mais aussi pour les lacs suisses. Des clichés extraordinaires viennent d’être réalisés par M. Égloff au-dessus des palafittes néolithiques et de l’âge du bronze du lac de Neuchâtel.

Inventaire du patrimoine et nouvelle problématique de l’archéologie

Dans aucun domaine des sciences, la recherche ne se fait au hasard. Or, jusqu’à une date toute récente, c’est le hasard qui décidait des fouilles à entreprendre et cela sur des indices imprécis qui résultaient de découvertes fortuites ou de grands travaux mettant au jour des vestiges enfouis, qu’il fallait alors fouiller à l’aveuglette au plus vite sans même savoir si cela en valait la peine. Ce n’est pas ainsi que l’on peut obtenir des résultats cohérents. Il est des périodes pour lesquelles des structures sont déjà bien connues, d’autres pour lesquelles notre ignorance est très grande. Ce sont ces dernières qu’il faut étudier en priorité. Les fouilles scientifiques sont longues, minutieuses, onéreuses: elles ne devraient être entreprises qu’à bon escient et seulement là où l’on est en droit d’espérer des résultats nouveaux qui combleront les lacunes de notre information. Pour établir une programmation cohérente de la recherche archéologique, il convient donc, avant tout, de dresser l’inventaire du patrimoine enfoui. Grâce à l’avion, l’information cesse d’être strictement ponctuelle pour devenir globale, à l’échelle de régions entières. Il est évident que les fouilles demeurent indispensables, mais elles peuvent désormais se faire après une sélection rigoureuse des sites repérés et surtout des sites menacés de destruction. Ainsi, depuis 1986, sur les chantiers du T.G.V. et des autoroutes en construction, certaines grandes opérations de sauvetage ont pu être menées à bien, grâce à des prospections aériennes antérieures.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно решить контрольную?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Archeologie aerienne — Archéologie aérienne Photographie aérienne du site protohistorique de Grézac (Charente Maritime). Grande nécropole gauloise avec diverses structures funéraires. Circulaires ou carrés, de toutes tailles, ces monuments funéraires abritaient des… …   Wikipédia en Français

  • Archéologie Aérienne — Photographie aérienne du site protohistorique de Grézac (Charente Maritime). Grande nécropole gauloise avec diverses structures funéraires. Circulaires ou carrés, de toutes tailles, ces monuments funéraires abritaient des sépultures à… …   Wikipédia en Français

  • Archéologie aérienne — Photographie aérienne du site protohistorique de Grézac (Charente Maritime). Grande nécropole gauloise avec diverses structures funéraires. Circulaires ou carrés, de toutes tailles, ces monuments funéraires abritaient des sépultures à… …   Wikipédia en Français

  • Archeologie — Archéologie ██████████3 …   Wikipédia en Français

  • ARCHÉOLOGIE - La prospection — L’intérêt suscité par les témoins du passé qu’étudie l’archéologie a beaucoup évolué depuis les années cinquante. La fouille, à laquelle s’identifiait la discipline, n’est plus une quête de monuments ou d’objets arrachés d’un contexte réputé… …   Encyclopédie Universelle

  • Archéologie — Théâtre romain, Alexandrie, Égypte. L archéologie est une discipline scientifique dont l objectif est d étudier et de reconstituer l’histoire de l’humanité depuis la préhistoire jusqu’à l époque contemporaine à travers l ensemble des vestiges… …   Wikipédia en Français

  • ARCHÉOLOGIE - L’archéologie du paysage — L’association de ces deux mots, «archéologie» et «paysage», peut sembler, à première vue, étonnante: le premier évoque l’étude attentive par la fouille d’une surface réduite; le second, à partir des photographies aériennes, de la vision directe,… …   Encyclopédie Universelle

  • ARCHÉOLOGIE - La photogrammétrie architecturale — Les premiers traités de perspective, et notamment celui de Piero della Francesca (De prospectiva pingendi , vers 1490), envisagent déjà d’utiliser des vues perspectives pour en déduire les formes et les dimensions d’un objet, et l’amiral… …   Encyclopédie Universelle

  • ARCHÉOLOGIE - L’archéologie sous-marine — L’archéologie sous marine est une branche de l’archéologie générale: les buts et les principes des fouilles sous marines ne sont pas différents de ceux des fouilles terrestres. Mais les conditions de travail en milieu subaquatique amènent à… …   Encyclopédie Universelle

  • ARCHÉOLOGIE - L’avenir de l’archéologie — Nul n’est en mesure, à la fin du XXe siècle, de dire ce que deviendra l’archéologie au XXIe siècle. Qui en a observé les développements à partir du milieu du XXe sait quelles mutations ont introduit, en ce qui concerne son domaine, une extension… …   Encyclopédie Universelle

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”